Existence ! : Quels rapports y a-t-il actuellement entre le monde de la santé en crise et les précaires, y compris les travailleurs pauvres, et pas seulement ceux qui ont droit à la CMU ? Un médecin a un rôle social, qu’il a peut-être toujours eu, mais qui devient presque celui de travailleur social.
Jean-Jacques Coulon : Oui, si tu veux bien le faire tu peux le faire. Et je pense que la grande majorité des médecins le font. Mais après, cela dépend de la manière de chacun d’appréhender cette société. Toute la société est en crise donc ça se transmet partout. Il n’y a pas que les médecins, je pense que tous les acteurs de santé ont un rôle à jouer. Tu peux très bien aller en visite dans un quartier défavorisé, rentrer 5 mn, faire ta consultation et ressortir sans forcément avoir appréhendé les difficultés réelles des gens. Tu soignes quelqu’un, tu parles avec lui mais après tu passes à autre chose. Or, essayer, comme à l’Apeis, d’aider réellement les gens en dehors de son travail fait prendre conscience que ce que tu as pu voir en 5 mn n’est qu’une toute petite partie de la réalité. Mais j’insiste sur l’impasse politique où l’on est parce que c’est ce qui nous taraude tous : tant qu’il n’y aura pas d’alternative crédible pour gérer la société autrement, il y aura toujours une bonne raison de nous répondre « C’est pas juste mais on peut pas faire autrement ».
Gérard Decreux : Au cours de ces 3 derniers mois, on a eu cinq tentatives de suicide à l’Apeis dont un adhérent qui s’est immolé par le feu et qui est au service des brûlés au CHU régional à Tours. Il a 37 ans, est brûlé aux 3/4. Je lui téléphone, il me dit : « Le 2 février ça fera un an qu’elle s’est pendue. » Elle n’avait même pas l’âge de la retraite, entre 55 et 60 ans, sans ressources, prête à faire quelques heures de ménage… Mais la pauvreté, la misère, l’extrême isolement, la désertification de nos campagnes…
Existence ! : On peut penser que, médecins, infirmières, vous êtes peut-être ceux qui ont encore des rapports avec des gens qui sont dans une misère telle qu’ils ne vont pas vers les services sociaux.
Arlette Miguel : Je peux parler de mon expérience de la nuit, quand même privilégiée par rapport à ceux qui travaillent de jour. En plus, je suis dans un service spécialisé donc on peut avoir un contact plus proche avec les gens et aborder certaines choses… Mais en ce qui concerne la précarité ce n’est pas flagrant. Ce sont des gens qui sont dans leur maladie et le rôle que l’on peut avoir est uniquement relationnel, c’est prendre plus de temps pour discuter avec eux.
Nathalie Maupetit : On peut percevoir la précarité, mais les réponses, on les a pas. On constate.
Jean-Jacques Coulon : On ne fait que du palliatif.
Franck Carrey : En médecine du travail, lorsqu’on a le temps, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas, on le consacre à discuter de la situation sociale de la personne, de sa situation relationnelle avec son employeur, de ses conditions de vie. Si je vois quelqu’un avec des revenus très bas, qui travaille à temps partiel, j’essaie de savoir s’il a des charges importantes, par exemple un crédit ou des enfants. Il y a parfois des gens qui disent être content d’avoir discuté avec le médecin du travail parce qu’ils n’ont pas le temps en d’autres occasions, même avec leur médecin traitant. Il y a des secteurs ruraux en pleine désertification médicale. Le milieu rural démultiplie les choses, peut-être les cache-t-il partiellement aussi. Ça coûte moins cher de se loger à la campagne donc le pauvre ne sera pas forcément dehors mais dans un habitat misérable : une ancienne grange modifiée en habitation avec un toit qui prend l’eau, sans sanitaires, sans lavabo…
Christian Berthelot : Ce n’est pas parce que l’on vit dans la solitude ou la précarité que l’on se suicide, sinon il y aurait des millions de suicides, c’est parce qu’il n’y a pas de perspective de changement. Quand il y a suicide, quelle que soit la situation matérielle de la personne, c’est qu’elle a vraiment l’impression que le futur y’en a plus. Certains se suicident, d’autres caillassent les flics ou brûlent des voitures… L’ensemble du monde du travail, et à fortiori ceux qui n’en ont pas, est à cran. Les soi-disant « planqués d’fonctionnaires » des centres hospitaliers sont à cran avec les heures de repos qu’ils ne peuvent pas prendre et le fait qu’on les fasse revenir sur leurs jours de congé. Et les entreprises où ce que les travailleurs faisaient en 39 heures, ils le font maintenant en 35…
Jean-Jacques Coulon : Je pense que tous les corps de métier sont traversés par les mêmes problèmes et nous devenons de moins en moins aptes à écouter ceux des autres.
On s’habitue à la misère du monde. Heureusement qu’il y a eu la CMU qui nous a permis de revoir des gens qui n’avaient pas accès à des soins. Il reste la frange des gens qui ont de faibles revenus : les travailleurs qui ont cotisé mais qui ont une très petite retraite, qui ne peuvent pas bénéficier d’une mutuelle complémentaire, etc.
Alain Baot : Avec la mise en place de la CMU, on a progressé dans les soins. Avant, il y avait des gens qui amenaient une ordonnance et qui disaient : « Je peux pas payer, je prend rien ». Maintenant ça ne se voit pratiquement plus.
Christian Berthelot : Pour ce qui est du médicament usuel et de l’ordonnance, la CMU est une amélioration par rapport à la carte santé que l’on devait aller renouveler tous les 3 mois. Si on oubliait, elle n’était plus à jour et t’étais obligé de payer le docteur.
Existence ! : Ne pensez-vous pas que les instances gouvernementales profitent, dans le domaine de la santé et surtout dans les services d’urgence, de la conscience professionnelle pour ne pas céder aux revendications et casser les grèves ?
Jean-Jacques Coulon : Quand j’ai travaillé comme interne, j’ai fait une semaine de garde d’affilée, disponible tous les jours. J’étais responsable d’un service d’urgence, payé 2500 F par mois, mais je l’avais accepté, je me disais que ça me formait, « m’hyperformais » même, et que dans 3 ou 4 ans je serais autonome et j’aurais mon avenir. Et là, on rebascule sur ce « non-avenir » de la société où l’on accepte plus ces conditions parce qu’on n’est pas sûr de ce que l’on va trouver. Pour les médecins urgentistes, il y a moins de formation qu’auparavant. Il y a moins d’étudiants en médecine donc ils ont plus de charge de travail.
Manuela de Oliveira : En tant qu’infirmières et aides-soignantes, nous avons notre conscience professionnelle : on aime ce que l’on fait, on a affaire à des êtres humains et on ne leur tournera pas le dos comme ça. Quand on ne peut pas aller travailler, on est embêtée pour nos collègues, nos malades, et je trouve que cela a été beaucoup exploité. On a le droit de faire grève, seulement on est assignées. Donc, à moins de trouver quelqu’un huit heures avant pour nous remplacer… Si, aujourd’hui, nous avons une crise des infirmières c’est bien à cause de ça. On est trop exploitée et pas assez considérées, revalorisées. On a une profession où l’on donne beaucoup de nous-mêmes et on est traitées comme les bonnes des médecins.
Jean-Jacques Coulon : La société déresponsabilise à tous les niveaux et incite à se décharger sur quelqu’un.
Manuela de Oliveira : Oui, on délègue.
Jean-Jacques Coulon : Il y a 20 ans, nous restions dans les services à discuter avec les infirmières, à parler entre nous des malades, il y avait une vie du service indépendante de l’activité médicale propre. C’était fraternel. Maintenant, tout le monde me dit : « Je vais
au boulot pour gagner ma vie, c’est tout. » C’est vraiment un changement de fond dans notre société, on n’est plus valorisé par le travail.
Manuela de Oliveira : Il y a aussi un épuisement du personnel médical ; on ne fait plus notre
travail comme on aimerait le faire. Quand nous disons que, faute de temps, on passe à côté de certaines choses, on nous répond que ce n’est plus la qualité mais la quantité…
Christian Berthelot : Au bout d’un moment on n’a plus envie d’en faire plus alors que c’est la seule chose qu’ils nous demandent. L’évolution de la société fout des gens dans la merde et, au lieu que ce soit elle qui les gèrent, elle demande de « développer des solidarités » : un peu plus de Restos du Cœur, un peu plus de bonnes sœurs, etc.
Nathalie Maupetit : C’est comme le Téléthon pour la recherche.
Gérard Decreux : C’est le caritatif à tout crin. Or, à l’Apeis, le caritatif, mille et mille fois non ! Ce que les précaires ont besoin, ce dont ils ont soif, ce sont des droits pour vivre dans la 5e puissance économique du monde ! Il est évident que pour les chômeuses, chômeurs et précaires, l’espérance de vie doit être moins élevée, idem pour les ouvriers agricoles et les travailleurs du bâtiment.
Existence ! : Est-ce que vous pensez, en tant que médecins, infirmières, que vous avez été formés au rôle social que vous avez ?
Manuela de Oliveira : J’ai assistée en tant que bénévole à une formation sur la sécurité sociale et j’ai appris qu’il n’y avait pas assez d’assistantes sociales (AS). Et pour qu’une personne en rupture sociale, qui a perdu son travail, puisse mettre en route ses droits, il faut que ce soit une AS qui prenne son dossier…
Alain Baot : Outre la CMU, il y a aussi l’Allocation Personnalisée d’Autonomie qui, si elle est bien mise en place, est une avancée.
Aujourd’hui, on veut nous présenter la société comme finie et aboutie. Les entreprises caritatives se disent : « C’est la fin de l’Histoire alors on va essayer de sauver quelques meubles. »
Et les autres se résignent en se disant qu’après tout ils en ont marre de faire le boulot pour les autres. Il faut chercher un espace de lutte pour remotiver les gens et leur expliquer que c’est un combat qui doit être mené tous les jours.
Arlette Miguel : On est dans une société capitaliste où l’on veut nous faire croire que des organismes comme le Secours Catholique sont un peu de cataplasme et de pansement. D’un autre côté, il y a 800 médicaments qui sont inefficaces mais remboursés. Quand il y a un tel gaspillage, pourquoi, puisqu’il y a des labos, des gens qui y travaillent, on ne rembourse pas mieux les lunettes et les dents ? On se cache bien les yeux avec les associations caritatives.
Franck Carrey : On n’apprend pas à faire du social mais, de toute façon, qu’est-ce que ça veut dire « faire du social » ? J’essaye de discuter avec les gens, de mieux comprendre leur situation, de leur donner un conseil si je peux mais je n’ai pas de moyens réels, tangibles, de faire du social. Après, c’est vrai que, sur le moment, ça fait du bien à la personne de pouvoir discuter.
Jean-Jacques Coulon : La sélection sociale n’a pas disparu dans le pays, notre société n’a pas fondamentalement changée depuis 50 ans.
Alain Baot : Et tous les jours on veut nous convaincre qu’il n’y a pas d’alternative à
la mondialisation et au libéralisme. Il faut faire des efforts pour croire qu’il y a autre chose de possible.
Existence ! : Au niveau du pharmacien,
est-ce que la formation privilégie plus le côté commerçant ou le côté scientifique ?
Alain Baot : Il n’y a pas de relationnel dans une formation de pharmacien, c’est du scientifique. Après, on adapte le scientifique au commerce pour gagner des sous. Il y a encore des pharmaciens qui considèrent qu’ils ne sont pas là pour vendre du Subutex, des Steribox ou des médicaments substitutifs à la drogue et que ça n’est pas leur rôle de mettre un emplâtre à une jambe de bois.
Existence ! : A présent qu’il y a la CMU, pensez-vous qu’en France des gens restent exclus du système de santé ?
Jean-Jacques Coulon : Ils peuvent être exclus parce que toutes les filières de dépistage ne peuvent faire leur travail pour diverses raisons, essentiellement un manque de personnel. Et puis certains refusent les démarches. J’en ai vu au porte-à-porte dans les quartiers que j’essayais d’aider mais qui ne vont pas aux rendez-vous. La précarité n’incite pas, quand tu as fait 15 démarches qui furent négatives, à en faire une 16e. Cela dit, on n’a pas pour rien le meilleur système de santé en France et dans des petites villes comme Bourges, il y a moins de gens qui passent à côté que dans les grandes agglomérations où c’est plus impersonnel.
Manuela de Oliveira : Il y a aussi ceux qui sont en rupture momentanée, c’est-à-dire qui viennent de perdre leur travail et se retrouvent en bascule entre deux statuts. Ils ne savent pas faire les démarches.
Existence ! : Mais les médecines scolaires et du travail ont été mises en place pour faire du dépistage.
Franck Carrey : En médecine du travail, il y a des gens que l’on ne voit pas, c’est ceux qui font de brefs contrats : les cueilleurs de fruits, les ramasseurs de légumes, etc. On ne les examinent pas parce qu’ils bossent 15 jours ici, 15 jours là. Parfois ils bivouaquent sur place, ce qui est interdit mais courant, et ils échappent à toute forme de suivi médical parce que légalement l’employeur n’est pas obligé de les présenter au médecin du travail. Et si ça se trouve, ces gens-là échappent totalement au système de santé et au droit qu’ils auraient de se faire soigner à la CMU ou autre.
Christian Berthelot : Les gens qui basculent dans la CMU, ça crée un déclic chez eux, il va donc y avoir des consultations et du suivi de soin. Momentanément ça change leur état social. Mais ça ne va pas durer longtemps parce qu’il faut une motivation pour se maintenir en état. C’est aussi l’alimentation.
Manuela de Oliveira : Il ne faut pas baisser les bras mais se dire qu’il y a encore de l’espoir.
Gérard Decreux : En France, la précarisation est accentuée en milieu rural où l’on fait rentrer une main d’œuvre abondante venant des pays de l’Est, et en particulier de la Pologne pour le Cher. Ces gens-là, les médecins du travail ne les voient pas. Ils mangent dans les vergers et couchent dans les étables, c’est horrible. Les employeurs agricoles ne sont pas des tendres vis-à-vis des salariés, ils peuvent rivaliser très facilement avec des types aussi cruels que François Michelin. Un sinistre zèbre comme Lepen n’est pas sans faire un certain nombre de voix dans ces nobliaux. Ils ont de la haine vis-à-vis des ouvriers ! Et je pèse mes mots, les ayant côtoyé pendant 20 ans. On a été à deux pendant 8 jours faire la sortie de la banque alimentaire du Cher : qui va d’autre que l’Apeis parler avec les plus pauvres de notre ville ? Il y a les gens qui apportent la bonne parole, la charité, les cathos… Mais les AS, le département doit en avoir 75 ou 78 et ce sont elles qui ont le pouvoir de décrocher des aides, des sous.
Jean-Jacques Coulon : S’il y avait suffisamment d’AS, tu devrais être accompagné dans ta démarche. C’est la meilleure garantie pour qu’on soit sûr que tout le monde puisse faire aboutir son dossier.
Manuela de Oliveira : Quand on est dans une mauvaise situation, il y a beaucoup de pudeur et l’on n’a pas forcément envie d’aller raconter sa vie à une AS.
Jean-Jacques Coulon : Le médecin que je suis te conseillera quand même d’aller voir quelqu’un parce que c’est plus facile à faire à deux que tout seul. Il faut préserver et élargir le tissu social avec des postes supplémentaires partout mais aussi avec la présence de gens engagés sur le terrain. Si tu veux représenter les gens à juste titre et donc être sûr de faire le lien avec les citoyens, à un moment donné il faut être en contact direct avec eux.
Manuela de Oliveira : Il faut créer des emplois. On parle de sécurité et l’on met des flics partout dans la ville. Si on mettait des travailleurs sociaux, si on formait tous ces jeunes qui ont envie de travailler, on n’en serait pas là.
Christian Berthelot : Est-ce qu’on va sans cesse réclamer des gens qui iront balayer la merde de ce système ? Il y a besoin d’AS parce qu’il y a urgence mais tant qu’on ne demande que ça, on continue à faire crever les gens. On n’a pas besoin d’un programme de lutte contre la pauvreté mais d’un programme de lutte contre les riches.
Jean-Jacques Coulon : Les deux niveaux sont conciliables.
Manuela de Oliveira : Quand nous étions deux aide-soignantes dans mon service, nous faisions un travail différent. Du jour où je me suis retrouvée toute seule, je n’ai pas pu faire le même travail. Quant un patient passe 9 jours à l’hôpital et qu’il n’est pas soigné correctement faute de temps, il va rentrer chez lui puis revenir dans un état encore pire.
Existence ! : A force d’être dans l’urgence et le court terme, on en viens à oublier le long terme. Il faut s’occuper des effets et des causes.
Franck Carrey : Après tout, c’est aussi le rôle que l’on attend des AS et des travailleurs sociaux : Qu’ils soient un peu le miroir de ce qui se passe et qu’ils le fassent savoir. Nous n’avons pas parlé des handicapés : à la médecine du travail, on reçoit les gens, on discute avec eux et l’on évalue leur handicap. Après, il y a une réunion de commission qui leur donnent le statut de travailleur handicapé. S’ils n’ont pas de travail, on les orientent vers une formation avec recherche d’emploi. Tant qu’ils auront leur formation, ils travailleront un peu. Quant ils seront en recherche d’emploi, malgré l’existence d’organismes placeurs, dans la plupart des cas ils n’auront pas de travail. Ou alors un travail temporaire qui, finalement, ne sera pas une si mauvaise situation pour l’employeur qui touchera une aide pour employeur d’handicapés.
Arlette Miguel : Je suis en congé longue maladie ; j’avais un travail de nuit que je ne peux plus assurer. Je vois un rhumatologue qui me conseille d’arrêter de travailler sinon je vais y laisser ma santé. Mais comme le médecin expert dit que je suis apte au travail, je retravaille. C’est pas logique, quel recourt j’ai ?
Franck Carrey : C’est tout le problème de la dualité entre l’état de santé qui justifie les indemnités journalières, l’arrêt de travail, et la fin de la période d’indemnisation. Je suis souvent confronté au problème quand un salarié n’est pas en état de reprendre le travail à son ancien poste mais le médecin-conseil coupe les indemnités journalières parce que son état s’est stabilisé. Alors je vais avec lui chez l’employeur proposer un autre poste de travail et si c’est la grosse boîte qui ne veut pas faire d’effort… il n’a plus d’indemnité, il n’y a pas toujours reconnaissance de l’invalidité et il y a impossibilité de reprendre le travail. Il faut trouver une solution pour ne pas être celui qui participe au système en agréant le fait qu’il n’y a plus de solutions.
Gérard Decreux : Les patrons veulent déjà pas embaucher des gars bien portants alors les handicapés….
Propos recueillis par Daniel Paris-Clavel
Existence ! : Quels rapports y a-t-il actuellement entre le monde de la santé en crise et les précaires, y compris les travailleurs pauvres, et pas seulement ceux qui ont droit à la CMU ? Un médecin a un rôle social, qu’il a peut-être toujours eu, mais qui devient presque celui de travailleur social.
Jean-Jacques Coulon : Oui, si tu veux bien le faire tu peux le faire. Et je pense que la grande majorité des médecins le font. Mais après, cela dépend de la manière de chacun d’appréhender cette société. Toute la société est en crise donc ça se transmet partout. Il n’y a pas que les médecins, je pense que tous les acteurs de santé ont un rôle à jouer. Tu peux très bien aller en visite dans un quartier défavorisé, rentrer 5 mn, faire ta consultation et ressortir sans forcément avoir appréhendé les difficultés réelles des gens. Tu soignes quelqu’un, tu parles avec lui mais après tu passes à autre chose. Or, essayer, comme à l’Apeis, d’aider réellement les gens en dehors de son travail fait prendre conscience que ce que tu as pu voir en 5 mn n’est qu’une toute petite partie de la réalité. Mais j’insiste sur l’impasse politique où l’on est parce que c’est ce qui nous taraude tous : tant qu’il n’y aura pas d’alternative crédible pour gérer la société autrement, il y aura toujours une bonne raison de nous répondre « C’est pas juste mais on peut pas faire autrement ».
Gérard Decreux : Au cours de ces 3 derniers mois, on a eu cinq tentatives de suicide à l’Apeis dont un adhérent qui s’est immolé par le feu et qui est au service des brûlés au CHU régional à Tours. Il a 37 ans, est brûlé aux 3/4. Je lui téléphone, il me dit : « Le 2 février ça fera un an qu’elle s’est pendue. » Elle n’avait même pas l’âge de la retraite, entre 55 et 60 ans, sans ressources, prête à faire quelques heures de ménage… Mais la pauvreté, la misère, l’extrême isolement, la désertification de nos campagnes…
Existence ! : On peut penser que, médecins, infirmières, vous êtes peut-être ceux qui ont encore des rapports avec des gens qui sont dans une misère telle qu’ils ne vont pas vers les services sociaux.
Arlette Miguel : Je peux parler de mon expérience de la nuit, quand même privilégiée par rapport à ceux qui travaillent de jour. En plus, je suis dans un service spécialisé donc on peut avoir un contact plus proche avec les gens et aborder certaines choses… Mais en ce qui concerne la précarité ce n’est pas flagrant. Ce sont des gens qui sont dans leur maladie et le rôle que l’on peut avoir est uniquement relationnel, c’est prendre plus de temps pour discuter avec eux.
Nathalie Maupetit : On peut percevoir la précarité, mais les réponses, on les a pas. On constate.
Jean-Jacques Coulon : On ne fait que du palliatif.
Franck Carrey : En médecine du travail, lorsqu’on a le temps, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas, on le consacre à discuter de la situation sociale de la personne, de sa situation relationnelle avec son employeur, de ses conditions de vie. Si je vois quelqu’un avec des revenus très bas, qui travaille à temps partiel, j’essaie de savoir s’il a des charges importantes, par exemple un crédit ou des enfants. Il y a parfois des gens qui disent être content d’avoir discuté avec le médecin du travail parce qu’ils n’ont pas le temps en d’autres occasions, même avec leur médecin traitant. Il y a des secteurs ruraux en pleine désertification médicale. Le milieu rural démultiplie les choses, peut-être les cache-t-il partiellement aussi. Ça coûte moins cher de se loger à la campagne donc le pauvre ne sera pas forcément dehors mais dans un habitat misérable : une ancienne grange modifiée en habitation avec un toit qui prend l’eau, sans sanitaires, sans lavabo…
Christian Berthelot : Ce n’est pas parce que l’on vit dans la solitude ou la précarité que l’on se suicide, sinon il y aurait des millions de suicides, c’est parce qu’il n’y a pas de perspective de changement. Quand il y a suicide, quelle que soit la situation matérielle de la personne, c’est qu’elle a vraiment l’impression que le futur y’en a plus. Certains se suicident, d’autres caillassent les flics ou brûlent des voitures… L’ensemble du monde du travail, et à fortiori ceux qui n’en ont pas, est à cran. Les soi-disant « planqués d’fonctionnaires » des centres hospitaliers sont à cran avec les heures de repos qu’ils ne peuvent pas prendre et le fait qu’on les fasse revenir sur leurs jours de congé. Et les entreprises où ce que les travailleurs faisaient en 39 heures, ils le font maintenant en 35…
Jean-Jacques Coulon : Je pense que tous les corps de métier sont traversés par les mêmes problèmes et nous devenons de moins en moins aptes à écouter ceux des autres.
On s’habitue à la misère du monde. Heureusement qu’il y a eu la CMU qui nous a permis de revoir des gens qui n’avaient pas accès à des soins. Il reste la frange des gens qui ont de faibles revenus : les travailleurs qui ont cotisé mais qui ont une très petite retraite, qui ne peuvent pas bénéficier d’une mutuelle complémentaire, etc.
Alain Baot : Avec la mise en place de la CMU, on a progressé dans les soins. Avant, il y avait des gens qui amenaient une ordonnance et qui disaient : « Je peux pas payer, je prend rien ». Maintenant ça ne se voit pratiquement plus.
Christian Berthelot : Pour ce qui est du médicament usuel et de l’ordonnance, la CMU est une amélioration par rapport à la carte santé que l’on devait aller renouveler tous les 3 mois. Si on oubliait, elle n’était plus à jour et t’étais obligé de payer le docteur.
Existence ! : Ne pensez-vous pas que les instances gouvernementales profitent, dans le domaine de la santé et surtout dans les services d’urgence, de la conscience professionnelle pour ne pas céder aux revendications et casser les grèves ?
Jean-Jacques Coulon : Quand j’ai travaillé comme interne, j’ai fait une semaine de garde d’affilée, disponible tous les jours. J’étais responsable d’un service d’urgence, payé 2500 F par mois, mais je l’avais accepté, je me disais que ça me formait, « m’hyperformais » même, et que dans 3 ou 4 ans je serais autonome et j’aurais mon avenir. Et là, on rebascule sur ce « non-avenir » de la société où l’on accepte plus ces conditions parce qu’on n’est pas sûr de ce que l’on va trouver. Pour les médecins urgentistes, il y a moins de formation qu’auparavant. Il y a moins d’étudiants en médecine donc ils ont plus de charge de travail.
Manuela de Oliveira : En tant qu’infirmières et aides-soignantes, nous avons notre conscience professionnelle : on aime ce que l’on fait, on a affaire à des êtres humains et on ne leur tournera pas le dos comme ça. Quand on ne peut pas aller travailler, on est embêtée pour nos collègues, nos malades, et je trouve que cela a été beaucoup exploité. On a le droit de faire grève, seulement on est assignées. Donc, à moins de trouver quelqu’un huit heures avant pour nous remplacer… Si, aujourd’hui, nous avons une crise des infirmières c’est bien à cause de ça. On est trop exploitée et pas assez considérées, revalorisées. On a une profession où l’on donne beaucoup de nous-mêmes et on est traitées comme les bonnes des médecins.
Jean-Jacques Coulon : La société déresponsabilise à tous les niveaux et incite à se décharger sur quelqu’un.
Manuela de Oliveira : Oui, on délègue.
Jean-Jacques Coulon : Il y a 20 ans, nous restions dans les services à discuter avec les infirmières, à parler entre nous des malades, il y avait une vie du service indépendante de l’activité médicale propre. C’était fraternel. Maintenant, tout le monde me dit : « Je vais
au boulot pour gagner ma vie, c’est tout. » C’est vraiment un changement de fond dans notre société, on n’est plus valorisé par le travail.
Manuela de Oliveira : Il y a aussi un épuisement du personnel médical ; on ne fait plus notre
travail comme on aimerait le faire. Quand nous disons que, faute de temps, on passe à côté de certaines choses, on nous répond que ce n’est plus la qualité mais la quantité…
Christian Berthelot : Au bout d’un moment on n’a plus envie d’en faire plus alors que c’est la seule chose qu’ils nous demandent. L’évolution de la société fout des gens dans la merde et, au lieu que ce soit elle qui les gèrent, elle demande de « développer des solidarités » : un peu plus de Restos du Cœur, un peu plus de bonnes sœurs, etc.
Nathalie Maupetit : C’est comme le Téléthon pour la recherche.
Gérard Decreux : C’est le caritatif à tout crin. Or, à l’Apeis, le caritatif, mille et mille fois non ! Ce que les précaires ont besoin, ce dont ils ont soif, ce sont des droits pour vivre dans la 5e puissance économique du monde ! Il est évident que pour les chômeuses, chômeurs et précaires, l’espérance de vie doit être moins élevée, idem pour les ouvriers agricoles et les travailleurs du bâtiment.
Existence ! : Est-ce que vous pensez, en tant que médecins, infirmières, que vous avez été formés au rôle social que vous avez ?
Manuela de Oliveira : J’ai assistée en tant que bénévole à une formation sur la sécurité sociale et j’ai appris qu’il n’y avait pas assez d’assistantes sociales (AS). Et pour qu’une personne en rupture sociale, qui a perdu son travail, puisse mettre en route ses droits, il faut que ce soit une AS qui prenne son dossier…
Alain Baot : Outre la CMU, il y a aussi l’Allocation Personnalisée d’Autonomie qui, si elle est bien mise en place, est une avancée.
Aujourd’hui, on veut nous présenter la société comme finie et aboutie. Les entreprises caritatives se disent : « C’est la fin de l’Histoire alors on va essayer de sauver quelques meubles. »
Et les autres se résignent en se disant qu’après tout ils en ont marre de faire le boulot pour les autres. Il faut chercher un espace de lutte pour remotiver les gens et leur expliquer que c’est un combat qui doit être mené tous les jours.
Arlette Miguel : On est dans une société capitaliste où l’on veut nous faire croire que des organismes comme le Secours Catholique sont un peu de cataplasme et de pansement. D’un autre côté, il y a 800 médicaments qui sont inefficaces mais remboursés. Quand il y a un tel gaspillage, pourquoi, puisqu’il y a des labos, des gens qui y travaillent, on ne rembourse pas mieux les lunettes et les dents ? On se cache bien les yeux avec les associations caritatives.
Franck Carrey : On n’apprend pas à faire du social mais, de toute façon, qu’est-ce que ça veut dire « faire du social » ? J’essaye de discuter avec les gens, de mieux comprendre leur situation, de leur donner un conseil si je peux mais je n’ai pas de moyens réels, tangibles, de faire du social. Après, c’est vrai que, sur le moment, ça fait du bien à la personne de pouvoir discuter.
Jean-Jacques Coulon : La sélection sociale n’a pas disparu dans le pays, notre société n’a pas fondamentalement changée depuis 50 ans.
Alain Baot : Et tous les jours on veut nous convaincre qu’il n’y a pas d’alternative à
la mondialisation et au libéralisme. Il faut faire des efforts pour croire qu’il y a autre chose de possible.
Existence ! : Au niveau du pharmacien,
est-ce que la formation privilégie plus le côté commerçant ou le côté scientifique ?
Alain Baot : Il n’y a pas de relationnel dans une formation de pharmacien, c’est du scientifique. Après, on adapte le scientifique au commerce pour gagner des sous. Il y a encore des pharmaciens qui considèrent qu’ils ne sont pas là pour vendre du Subutex, des Steribox ou des médicaments substitutifs à la drogue et que ça n’est pas leur rôle de mettre un emplâtre à une jambe de bois.
Existence ! : A présent qu’il y a la CMU, pensez-vous qu’en France des gens restent exclus du système de santé ?
Jean-Jacques Coulon : Ils peuvent être exclus parce que toutes les filières de dépistage ne peuvent faire leur travail pour diverses raisons, essentiellement un manque de personnel. Et puis certains refusent les démarches. J’en ai vu au porte-à-porte dans les quartiers que j’essayais d’aider mais qui ne vont pas aux rendez-vous. La précarité n’incite pas, quand tu as fait 15 démarches qui furent négatives, à en faire une 16e. Cela dit, on n’a pas pour rien le meilleur système de santé en France et dans des petites villes comme Bourges, il y a moins de gens qui passent à côté que dans les grandes agglomérations où c’est plus impersonnel.
Manuela de Oliveira : Il y a aussi ceux qui sont en rupture momentanée, c’est-à-dire qui viennent de perdre leur travail et se retrouvent en bascule entre deux statuts. Ils ne savent pas faire les démarches.
Existence ! : Mais les médecines scolaires et du travail ont été mises en place pour faire du dépistage.
Franck Carrey : En médecine du travail, il y a des gens que l’on ne voit pas, c’est ceux qui font de brefs contrats : les cueilleurs de fruits, les ramasseurs de légumes, etc. On ne les examinent pas parce qu’ils bossent 15 jours ici, 15 jours là. Parfois ils bivouaquent sur place, ce qui est interdit mais courant, et ils échappent à toute forme de suivi médical parce que légalement l’employeur n’est pas obligé de les présenter au médecin du travail. Et si ça se trouve, ces gens-là échappent totalement au système de santé et au droit qu’ils auraient de se faire soigner à la CMU ou autre.
Christian Berthelot : Les gens qui basculent dans la CMU, ça crée un déclic chez eux, il va donc y avoir des consultations et du suivi de soin. Momentanément ça change leur état social. Mais ça ne va pas durer longtemps parce qu’il faut une motivation pour se maintenir en état. C’est aussi l’alimentation.
Manuela de Oliveira : Il ne faut pas baisser les bras mais se dire qu’il y a encore de l’espoir.
Gérard Decreux : En France, la précarisation est accentuée en milieu rural où l’on fait rentrer une main d’œuvre abondante venant des pays de l’Est, et en particulier de la Pologne pour le Cher. Ces gens-là, les médecins du travail ne les voient pas. Ils mangent dans les vergers et couchent dans les étables, c’est horrible. Les employeurs agricoles ne sont pas des tendres vis-à-vis des salariés, ils peuvent rivaliser très facilement avec des types aussi cruels que François Michelin. Un sinistre zèbre comme Lepen n’est pas sans faire un certain nombre de voix dans ces nobliaux. Ils ont de la haine vis-à-vis des ouvriers ! Et je pèse mes mots, les ayant côtoyé pendant 20 ans. On a été à deux pendant 8 jours faire la sortie de la banque alimentaire du Cher : qui va d’autre que l’Apeis parler avec les plus pauvres de notre ville ? Il y a les gens qui apportent la bonne parole, la charité, les cathos… Mais les AS, le département doit en avoir 75 ou 78 et ce sont elles qui ont le pouvoir de décrocher des aides, des sous.
Jean-Jacques Coulon : S’il y avait suffisamment d’AS, tu devrais être accompagné dans ta démarche. C’est la meilleure garantie pour qu’on soit sûr que tout le monde puisse faire aboutir son dossier.
Manuela de Oliveira : Quand on est dans une mauvaise situation, il y a beaucoup de pudeur et l’on n’a pas forcément envie d’aller raconter sa vie à une AS.
Jean-Jacques Coulon : Le médecin que je suis te conseillera quand même d’aller voir quelqu’un parce que c’est plus facile à faire à deux que tout seul. Il faut préserver et élargir le tissu social avec des postes supplémentaires partout mais aussi avec la présence de gens engagés sur le terrain. Si tu veux représenter les gens à juste titre et donc être sûr de faire le lien avec les citoyens, à un moment donné il faut être en contact direct avec eux.
Manuela de Oliveira : Il faut créer des emplois. On parle de sécurité et l’on met des flics partout dans la ville. Si on mettait des travailleurs sociaux, si on formait tous ces jeunes qui ont envie de travailler, on n’en serait pas là.
Christian Berthelot : Est-ce qu’on va sans cesse réclamer des gens qui iront balayer la merde de ce système ? Il y a besoin d’AS parce qu’il y a urgence mais tant qu’on ne demande que ça, on continue à faire crever les gens. On n’a pas besoin d’un programme de lutte contre la pauvreté mais d’un programme de lutte contre les riches.
Jean-Jacques Coulon : Les deux niveaux sont conciliables.
Manuela de Oliveira : Quand nous étions deux aide-soignantes dans mon service, nous faisions un travail différent. Du jour où je me suis retrouvée toute seule, je n’ai pas pu faire le même travail. Quant un patient passe 9 jours à l’hôpital et qu’il n’est pas soigné correctement faute de temps, il va rentrer chez lui puis revenir dans un état encore pire.
Existence ! : A force d’être dans l’urgence et le court terme, on en viens à oublier le long terme. Il faut s’occuper des effets et des causes.
Franck Carrey : Après tout, c’est aussi le rôle que l’on attend des AS et des travailleurs sociaux : Qu’ils soient un peu le miroir de ce qui se passe et qu’ils le fassent savoir. Nous n’avons pas parlé des handicapés : à la médecine du travail, on reçoit les gens, on discute avec eux et l’on évalue leur handicap. Après, il y a une réunion de commission qui leur donnent le statut de travailleur handicapé. S’ils n’ont pas de travail, on les orientent vers une formation avec recherche d’emploi. Tant qu’ils auront leur formation, ils travailleront un peu. Quant ils seront en recherche d’emploi, malgré l’existence d’organismes placeurs, dans la plupart des cas ils n’auront pas de travail. Ou alors un travail temporaire qui, finalement, ne sera pas une si mauvaise situation pour l’employeur qui touchera une aide pour employeur d’handicapés.
Arlette Miguel : Je suis en congé longue maladie ; j’avais un travail de nuit que je ne peux plus assurer. Je vois un rhumatologue qui me conseille d’arrêter de travailler sinon je vais y laisser ma santé. Mais comme le médecin expert dit que je suis apte au travail, je retravaille. C’est pas logique, quel recourt j’ai ?
Franck Carrey : C’est tout le problème de la dualité entre l’état de santé qui justifie les indemnités journalières, l’arrêt de travail, et la fin de la période d’indemnisation. Je suis souvent confronté au problème quand un salarié n’est pas en état de reprendre le travail à son ancien poste mais le médecin-conseil coupe les indemnités journalières parce que son état s’est stabilisé. Alors je vais avec lui chez l’employeur proposer un autre poste de travail et si c’est la grosse boîte qui ne veut pas faire d’effort… il n’a plus d’indemnité, il n’y a pas toujours reconnaissance de l’invalidité et il y a impossibilité de reprendre le travail. Il faut trouver une solution pour ne pas être celui qui participe au système en agréant le fait qu’il n’y a plus de solutions.
Gérard Decreux : Les patrons veulent déjà pas embaucher des gars bien portants alors les handicapés….
Propos recueillis par Daniel Paris-Clavel